La contribution de l'économie sociale à la transformation du territoire

Développement local au Québec, Canada.

Depuis plus de cent ans, l'économie sociale (ES) a marqué le développement du Québec. Les organisations initiées par la communauté, à savoir les coopératives, les organisations à but non lucratif entreprenantes et les mutuelles ont joué un rôle déterminant dans le développement d'une société et d'une économie plus humaines au fil des générations. Ces dernières années, une nouvelle génération d'organisations de l’ES s'est révélée remarquablement réussie. La liste des nouveaux projets et leur impact sur nos communautés est impressionnante : centres de petite enfance, services de soins à domicile, centres de recyclage, agriculture alternative, nouvelles technologies, logement communautaire, tourisme social et loisirs, culture, communication, etc.

Ces projets sont également la confirmation qu'une culture d'entrepreneuriat collectif fondée sur les principes de la démocratie et de la solidarité s'est implantée partout au Québec. Aujourd'hui, il y a plus de 7 000 entreprises d'économie sociale au Québec. Ces entreprises fournissent de l'emploi à plus de 212 000 personnes et génèrent des milliards de revenus, même si cela ne commence pas à expliquer leur impact sur la cohésion sociale, la dignité humaine, la vitalité culturelle et la réduction des inégalités.

La contribution de l'économie sociale à repenser le modèle de développement

L’ES est ancrée dans une vision plus large d'une économie plurielle qui remet en questions les opinions largement répandues sur notre développement économique. Plutôt que de réduire l'économie à une vision binaire du secteur privé à but lucratif ou du secteur public, le mouvement de l'économie sociale a œuvré pour obtenir la reconnaissance et le soutien des entreprises collectives qui servent les intérêts de la collectivité et de leurs membres. Quel que soit le domaine (ressources naturelles, agriculture, industrie, services, culture et communication), le défi du mouvement de l'économie sociale est le même : garantir, dans un contexte de globalisation des marchés, un consensus sur la gestion de nos ressources. Comment les besoins de nos communautés sont-ils satisfaits ?

Soutien à l'économie sociale

Deux aspects ont distingué l'approche québécoise pour permettre aux entreprises de l’ES. Premièrement, le Québec a développé une capacité à rassembler différents intervenants de divers secteurs et territoires afin de promouvoir et de développer l’ES. Deuxièmement, un élément essentiel pour favoriser ce développement était l'approche territoriale.

Développement territorial

Dans les années 80, les acteurs sociaux traditionnels ont initié un processus de développement économique communautaire qui a mené à la création des premières sociétés de développement économique communautaire (CDEC) dans trois quartiers différents de Montréal. Il a semblé aux initiateurs de ce mouvement de développement local que plutôt que d'attendre un « effet de ruissellement » pour aider les communautés pauvres, seules l'action communautaire et de nouveaux types de partenariats pourraient répondre adéquatement aux défis du développement économique local. Ainsi, les CDEC ont contacté les hommes d'affaires locaux, les institutions locales ainsi que les autorités municipales, régionales et fédérales pour soutenir un processus de revitalisation communautaire basé sur la mobilisation communautaire et les partenariats. La vision économique qui prévalait à l'époque à la ville de Montréal répondait à la vision de la société civile et les CDEC bénéficiaient d'un soutien financier depuis plus de 30 ans. Au fil des ans, le nombre de CDEC au Québec est passé à 13, toutes présentes dans des centres urbains relativement plus pauvres.

En 1997, le gouvernement du Québec a créé des centres de développement local (CLD), inspirés du modèle réussi de la CDEC. De nouveaux CLD ont été établis sur tout le territoire du Québec alors que dans les régions urbaines, les CDEC existants ont intégré le mandat du CLD. Chaque CLD a nommé une personne responsable de l'accompagnement des projets locaux d'économie sociale, même si, de facto, l'expertise de ces agents variait d'une région à l'autre. Des organisations dédiées au développement de l'économie sociale travailleraient avec le réseau des CLD afin de soutenir le renforcement des capacités, de diffuser des outils utiles pour analyser, permettre et soutenir la croissance des entreprises émergentes. Les agents du CLD ont également joué un rôle important en conseillant les organisations provinciales, en particulier les fonds d'investissement, quant à la réalité locale et à la pertinence pour la communauté locale d'une nouvelle initiative d'ES.

En 2015, le gouvernement provincial du Québec a considérablement accru la compétence des administrations municipales, y compris la responsabilité du soutien à l'entrepreneuriat, et a retiré son financement des CLD tout en transférant une partie de ce financement directement aux municipalités. Les municipalités ont eu le choix de maintenir ou d'abolir leur CLD local ou leur CDEC. Cela signifiait intégrer les services de ces organisations dans l'administration municipale ou les sous-traiter à une nouvelle organisation. Dans environ la moitié des cas, les gouvernements locaux ont choisi d'intégrer ces services dans des structures contrôlées par le gouvernement. À Montréal, la plus grande ville du Québec, la ville a choisi de ne pas intégrer les services dans l'administration. Au lieu de cela, la ville a proposé de fusionner les 18 CLD et CDEC afin de créer et de soutenir 6 nouvelles structures, appelées PME MTL. Par conséquent, cela a entraîné la fermeture de 8 des 10 CDEC de Montréal. Outre la diminution du financement, le principal changement était que le mandat de développement territorial n'était pas inclu dans la mission des nouvelles structures MTL PME.

Le résultat est aujourd'hui un système de soutien territorial très variable pour le développement de l'économie sociale. Dans certains cas, il n'y a plus qu'un seul agent responsable du développement des organisations de l’ES, ce qui limite l'expertise concernant les besoins particuliers des entreprises de l'économie sociale. Dans la plupart des cas, la formation des agents, leur connaissance des outils existants, ainsi que les moyens de transmettre de nouveaux outils sont très réduits depuis l'abolition d'un réseau d'agences de développement territorial. De plus, la réorganisation du soutien régional a accru les disparités dans les ressources attribuées au développement de l’ES. Dans certains cas, les fonds locaux subsistent mais il y a moins d'agents de développement local. Dans d'autres, le même nombre d'agents est en place, mais ils disposent de moins d'outils, de fonds ou de temps pour soutenir le développement de projets collectifs. En 2017, une nouvelle loi provinciale a donné plus de pouvoir aux municipalités dans le domaine du développement économique, ce qui a dévolu de nouvelles responsabilités et un financement au niveau local. Cela a permis d'injecter de nouveaux fonds dans l'écosystème de développement économique local, particulièrement à Montréal. Dans la récente Stratégie de développement économique de la Ville de Montréal, plus de 11 millions de dollars sont consacrés à des projets d'économie sociale via le réseau PME MTL.

Entre-temps, dans un contexte où l'entrepreneuriat a gagné en popularité, une variété de nouveaux acteurs sont apparus pour incuber ou soutenir de nouvelles entreprises, y compris des universités ou des sociétés de conseil privées. De plus, dans certaines communautés, les organisations existantes ont développé de nouveaux services ou mis en commun des ressources afin de répondre aux besoins non satisfaits des projets émergents. Ceux-ci comprennent les organisations de services communautaires, les organisations de l’ES et les coalitions d'entreprises de l’ES. Là encore, le nombre de nouvelles structures de soutien, leur capacité et leur connaissance des spécificités de l’ES sont très variables selon les régions.

En conclusion, après une période qui a vu l'émergence et le déploiement de structures en réseau territoriales pour soutenir l'entrepreneuriat, y compris pour l’ES, la situation est aujourd'hui très variable et fragmentée. Si des pouvoirs accrus ont été dévolus au niveau local, il devient d'autant plus important de sensibiliser les acteurs locaux (privés et publics) au potentiel de l'économie sociale. Accroître la connaissance des meilleures pratiques internationales développées ailleurs pourrait également être utile localement. Nous nous tournons vers le GSEF, entre autres, pour soutenir ce travail. De plus, au cours de la prochaine année, le Chantier de l'économie sociale travaillera à la cartographie des ressources existantes au niveau local, régional et provincial. Il permettra une discussion collective afin d'identifier les territoires et les secteurs où ce soutien est insuffisant et, surtout, trouver ou développer des solutions pour renforcer ce soutien.

Élection provinciale en 2018

Le développement du territoire est une préoccupation lors des prochaines élections provinciales en octobre 2018. Le vieillissement de la population, l'attraction ou la rétention des jeunes dans certaines régions, l'importance de favoriser les efforts locaux pour revitaliser l'économie, les possibilités offertes par une panoplie de bâtiments et de terrains abandonnés sont autant de questions importantes pour lesquelles l’ES fait partie de la solution. La capacité des initiatives de l’ES à émerger et à apporter des réponses à certains de ces défis dépendra de l'existence d'un écosystème de soutien solide, quel que soit le secteur ou le territoire où ces initiatives se développent.

* Pour en savoir plus sur le sujet et les projets connexes, visitez le site web du Chantier de l'Économie sociale ici

Cet article est écrit par la Ville de Montréal et Le Chantier de l'économie sociale

Le GTC du GSEF (Groupe de travail sur la communication) explorera les quatre thèmes centraux du « GSEF2018 - Valeurs et compétitivité pour un développement local inclusif et durable » afin de souligner l'importance du sujet et de fournir des informations générales aux lecteurs. Quatre membres du CWG traiteront respectivement les quatre sujets, et la rédaction sera couverte par la section des articles du GSEF.